En France, ce lundi 30 septembre 2019 est un jour de deuil national en hommage à Jacques Chirac, décédé la semaine dernière. Nous reproduisons ci-dessous le discours qu’il a prononcé le 2 septembre 2002, en tant que président de la République française, devant l’assemblée plénière du IVe Sommet de la Terre à Johannesburg, en Afrique du Sud.
Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l’admettre. L’Humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au Nord comme au Sud, et nous sommes indifférents. La Terre et l’Humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables.
Il est temps, je crois, d’ouvrir les yeux. Sur tous les continents, les signaux d’alerte s’allument. L’Europe est frappée par des catastrophes naturelles et des crises sanitaires. L’économie américaine, souvent boulimique en ressources naturelles, paraît atteinte d’une crise de confiance dans ses modes de régulation. L’Amérique Latine est à nouveau secouée par la crise financière et donc sociale. En Asie, la multiplication des pollutions, dont témoigne le nuage brun, s’étend et menace d’empoisonnement un continent tout entier. L’Afrique est accablée par les conflits, le SIDA, la désertification, la famine. Certains pays insulaires sont menacés de disparition par le réchauffement climatique.
Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ! Prenons garde que le XXIe siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d’un crime de l’Humanité contre la Vie. Notre responsabilité collective est engagée. Responsabilité première des pays développés. Première par l’histoire, première par la puissance, première par le niveau de leurs consommations. Si l’Humanité entière se comportait comme les pays du Nord, il faudrait deux planètes supplémentaires pour faire face à nos besoins. Responsabilité des pays en développement aussi. Nier les contraintes à long terme au nom de l’urgence n’a pas de sens. Ces pays doivent admettre qu’il n’est d’autre solution pour eux que d’inventer un mode de croissance moins polluant.
Dix ans après Rio, nous n’avons pas de quoi être fiers. La mise en œuvre de l’Agenda 21 est laborieuse. La conscience de notre défaillance doit nous conduire, ici, à Johannesburg, à conclure l’alliance mondiale pour le développement durable.
Une alliance par laquelle les pays développés engageront la révolution écologique, la révolution de leurs modes de production et de consommation. Une alliance par laquelle ils consentiront l’effort de solidarité nécessaire en direction des pays pauvres. Une alliance à laquelle la France et l’Union européenne sont prêtes. Une alliance par laquelle le monde en développement s’engagera sur la voie de la bonne gouvernance et du développement propre.
Nous avons devant nous, je crois, cinq chantiers prioritaires.
- Le changement climatique d’abord. Il est engagé du fait de l’activité humaine. Il nous menace d’une tragédie planétaire. Il n’est plus temps de jouer chacun pour soi. De Johannesburg, doit s’élever un appel solennel vers tous les pays du monde, et d’abord vers les grands pays industrialisés, pour qu’ils ratifient et appliquent le Protocole de Kyoto. Le réchauffement climatique est encore réversible. Lourde serait la responsabilité de ceux qui refuseraient de le combattre.
- Deuxième chantier : l’éradication de la pauvreté. À l’heure de la mondialisation, la persistance de la pauvreté de masse est un scandale et une aberration. Appliquons les décisions de Doha et de Monterrey. Augmentons l’aide au développement pour atteindre dans les dix ans au maximum les 0,7 % du PIB. Trouvons de nouvelles sources de financement. Par exemple par un nécessaire prélèvement de solidarité sur les richesses considérables engendrées par la mondialisation.
- Troisième chantier : la diversité. La diversité biologique et la diversité culturelle, toutes deux patrimoines communs de l’Humanité, toutes deux sont menacées. La réponse, c’est l’affirmation du droit à la diversité et l’adoption d’engagements juridiques sur l’éthique.
- Quatrième chantier : les modes de production et de consommation. Avec les entreprises, il faut mettre au point des systèmes économes en ressources naturelles, économes en déchets, économes en pollutions. L’invention du développement durable est un progrès fondamental au service duquel nous devons mettre les avancées des sciences et des technologies, dans le respect du principe de précaution. La France proposera à ses partenaires du G8 l’adoption, lors du Sommet d’Évian en juin prochain, d’une initiative pour stimuler la recherche scientifique et technologique au service du développement durable.
- Cinquième chantier : la gouvernance mondiale, pour humaniser et pour maîtriser la mondialisation. Il est temps de reconnaître qu’existent des biens publics mondiaux et que nous devons les gérer ensemble. Il est temps d’affirmer et de faire prévaloir un intérêt supérieur de l’Humanité, qui dépasse à l’évidence l’intérêt de chacun des pays qui la compose.
Pour assurer la cohérence de l’action internationale, nous avons besoin, je l’ai dit à Monterrey, d’un Conseil de sécurité économique et social.
Pour mieux gérer l’environnement, pour faire respecter les principes de Rio, nous avons besoin d’une Organisation mondiale de l’environnement.
Pour vérifier l’application de l’Agenda 21 et du Plan d’action de Johannesburg, la France propose que la Commission du développement durable soit investie d’une fonction d’évaluation par les pairs, comme cela existe par exemple à l’OCDE. Et la France est prête à se soumettre la première à cette évaluation.
Monsieur le Président,
Au regard de l’Histoire de la Vie sur Terre, celle de l’Humanité commence à peine. Et pourtant, la voici déjà, par la faute de l’Homme, menaçante pour la nature et donc elle-même menacée. L’Homme, pointe avancée de l’évolution, peut-il devenir l’ennemi de la Vie ? Et c’est le risque qu’aujourd’hui nous courons par égoïsme ou par aveuglement.
Il est apparu en Afrique voici plusieurs millions d’années. Fragile et désarmé, il a su, par son intelligence et ses capacités, essaimer sur la planète entière et lui imposer sa loi. Le moment est venu pour l’Humanité, dans la diversité de ses cultures et de ses civilisations, dont chacune a droit d’être respectée, le moment est venu de nouer avec la nature un lien nouveau, un lien de respect et d’harmonie, et donc d’apprendre à maîtriser la puissance et les appétits de l’homme.
Et aujourd’hui, à Johannesburg, l’Humanité a rendez-vous avec son destin. Et quel plus beau lieu que l’Afrique du Sud, cher Thabo Mbeki, cher Nelson Mandela, pays emblématique par son combat victorieux contre l’apartheid, pour franchir cette nouvelle étape de l’aventure humaine !